Poèmes d'amour

Voici quelques textes remarquables pour célébrer l’être aimé :

Le tendre et dangereux visage de l’amour (Jacques Prévert)

Le tendre et dangereux visage de l’amour
m’est apparu un soir après un trop long jour
C’était peut-être un archer
avec son arc
ou bien un musicien
avec sa harpe
Je ne sais plus
Je ne sais rien
Tout ce que je sais
c’est qu’il m’a blessée
peut-être avec une flèche
peut-être avec une chanson
Tout ce que je sais
c’est qu’il m’a blessée
blessée au coeur et pour toujours
Brûlante trop brûlante blessure de l’amour.

Mon rêve familier (Paul Verlaine)

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l’ignore.
Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Pour la Saint Valentin (Edgar Poe)

Ces vers sont écrits pour celle dont les yeux lumineux,
Aussi brillamment expressifs que les jumeaux de Léda,
Trouveront son tendre nom niché au creux
De cette page, masqué à tout lecteur.
Fouillez attentivement ce morceau, qui contient un trésor Divin — un talisman — une amulette
Qui sur le coeur se doit porter. Scrutez bien la mesure,
Les mots, les lettres elles-mêmes. N’omettez pas
Le plus futile détail ; votre peine sinon serait perdue.
Pourtant il n’y a pas, ici, de noeud Gordien,
Qu’on ne saurait trancher sans coup de sabre,
Si l’on entend seulement le secret dessein.
Enchâssé dans les mots de cette page que scrutent
Des yeux impatients, gît, perdu, dis-je
Un nom familier, souvent prononcé, à portée
Des poètes, par des poètes : car le nom est celui d’un poète aussi. Ses lettres, bien qu’elles mentent naturellement
Comme le chevalier Pinto (Mendez Ferdinando),
Sont pourtant synonymes de Vérité. Ne cherchez plus!
Vous ne résoudrez pas l’énigme, même en faisant de votre mieux

L’Amour et la Folie (Jean de La Fontaine)

Amoureux Tout est mystère dans l’Amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance :
Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour
Que d’épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l’aveugle que voici
(C’est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ;
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien
J’en fais juge un amant, et ne décide rien.
La Folie et l’Amour jouaient un jour ensemble :
Celui-ci n’était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l’Amour veut qu’on assemble
Là-dessus le conseil des Dieux ;
L’autre n’eut pas la patience;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu’il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les Dieux en furent étourdis,
Et Jupiter, et Némésis,
Et les Juges d’Enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l’énormité du cas ;
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine n’était pour ce crime assez grande :
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L’intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l’Amour.